Les Dieux ont soif
Le début de la gloire…
Les Allemands déguerpissent de Brioude (43100), le 11 août 1944, à la tombée de la nuit ; les FFI et les FTP, eux, se préparent pour le lendemain matin à y faire une entrée glorieuse. Arrêtant aussitôt de nombreux habitants. Dans la nuit, on les « jugea ». Onze d’entre eux furent fusillés. Ce sont MM. Xavier Archaud, notaire, 32 ans, Elie Bastou, contremaître, Boudier, représentant de commerce, âgé de 72 ans, Charles Bourneton, employé d’industrie, 50 ans, Brugerolle, employé à la SNCF, Dumas, droguiste, 48 ans, Durand, agent d’assurances, engagé comme simple soldat en 1914 et revenu capitaine, décoré de la Croix de guerre et de la Croix de la Légion d’Honneur, Louis Lebatteux, commerçant, 30 ans, les deux frères Mesnata, hôteliers dont les Allemands avaient incendié l’établissement, et Jacques Dejax, 19 ans, étudiant en droit. Ils furent fusillés l’un après l’autre, après avoir été déshabillés, et sans aucun secours religieux. Leurs corps furent jetés dans une fosse commune où ils furent découverts par leurs familles et mis en bières. Mais les parents furent contraints de les réinhumer au même endroit…
La cour martiale qui condamna à mort les onze fusillés du 12 août était présidée par un fonctionnaire des Contributions indirectes à Brioude, un fonctionnaire du Trésor, qui fut depuis député et qui fut membre de l’Assemblée de l’Union française, remplissait les fonctions de commissaire du gouvernement. L’un des juges était le « commandant » Massat, qui n’était pas son véritable nom, marchand de bicyclettes, plus tard condamné pour délits de droit commun.
Bien avant la « libération », 29 avril 1944, M. Dijon, maire de Brioude, et sa femme avaient été assassinés.
Injustice…
Il arrive, tout de même, que « l’imposture » soit flagrante. Ainsi, à Bergerac (Dordogne) un maquisard Roger P... , fut arrêté. Motif : le 5 juillet 1944, il assassina à coups de mitraillette un jeune homme de 19 ans, Joseph Cabirol, à Saint Géraud de Corps (24700). Le motif du crime était la jalousie. Soulignons que ce département de la Dordogne est l’un de ceux où les « exécutions » ont été les plus nombreuses. Mais pourquoi donc furent arrêtés MM. François, Pierre et Ernest Rattin, tous trois Italiens, établis comme cultivateurs à Molières (24480), et « abattus » le 22 juin 1944 au château de Barbe ; de M. Hubert Guillaume, dont le cadavre exhumé le 15 décembre 1944 en présence du parquet de Bergerac avait les mains coupées et la tête écrasée; de M. Alexandre Dancoisne, réfugié de Phalempin (Nord); M. Joudinaud, maréchal-ferrant à Falgayrat (24560 Plaisance); de M. Jean Desnoyers, notaire à Beaumont, qui fut torturé; du commandant Goulinat, adjoint au maire de Beaumont (24440). A la ferme de « La Trouillère », commune de Capdrot (24540), M. Jasmin Delayre, entrepreneur de battages, fut torturé, blessé à coups de hache et achevé dans sa fosse le 6 août 1944. Sa grand-mère et sa mère furent assassinées en mars 1945 à Dévillac (47210). Son père fut détenu pendant deux ans. Sa ferme, son bétail, ses machines agricoles furent pillés. A « La Trouillère », furent également assassinés, le 15 août 1944, MM. Jean et René Barrat, de Saint Capraise de Lalinde (24150), et M. Ogullo, ancien adjudant de la Légion étrangère.
Ne jouez pas avec nos nerfs…
Nos guerriers avaient la détente nerveuse. Pensez donc, l’euphorie de la « victoire » grise à un tel point que la raison s’égare. C’est ainsi qu’en juin 1944, Mlle Renée Gaudefroy, qui se dévouait au service d’une oeuvre d’enfants juifs, fut arrêtée à Limoges par des miliciens qui la brutalisèrent, au point qu’elle dut être transportée à l’hôpital d'où elle s'évada pour rejoindre le maquis de Dournazac (87230). Là, elle fut « abattue » sans jugement, et enterrée dans un bois du hameau de Brie. L’autorité militaire a reconnu que Mlle Gaudefroy « a été fusillée à la suite d’une monstrueuse erreur due probablement à une surexcitation nerveuse et à une tension nerveuse trop fréquente dans une guerre de partisans » et elle a rendu « un respectueux hommage à la mémoire de Mlle Gaudefroy, victime de son dévouement à la cause de la Résistance ». L’autorité militaire, bonne fille, a bien voulu reconnaître ses torts, ou les torts des « partisans », mais elle a refusé d’indiquer à la famille l’emplacement de la fosse où a été enterrée Mlle Gaudefroy, ladite famille ayant refusé de prendre l’engagement qu’on exigeait d’elle de n’intenter contre les assassins aucune poursuite judiciaire. Notez bien qu’à cette époque, notre irremplaçable « Charlebagne » s’écriait « Où est la guerre civile ? »
Les assassins étaient difficilement identifiables; il y en avait tellement, après le départ des Allemands… Aussi dans la Loire, on ne connaît pas les assassins de Mme et de Mlle Rimaud, femme et fille d’un médecin de Saint Etienne, qui furent enlevées de leur maison de campagne de Sail sous Couzan (42890) le 16 juillet 1944, tandis que cette maison était mise à sac. Tandis qu’on les conduisait à Roche Savine, Mlle Rimaud tenta de s’échapper et fut « abattue » sous les yeux de sa mère. Quant à Mme Rimaud, la mâchoire fracassée et les yeux presque arrachés, elle fut torturée publiquement sur la place de Saint Amant Roche Savine (63890) Contrainte de creuser elle-même sa tombe, elle fut fusillée. Le 22 mars 1945, neuf mois après leur assassinat, Mme et Mlle Rimaud, étaient condamnées à l’indignité nationale par la Chambre civique de Saint Etienne.
Pour peaufiner l'iniquité on établit une loi, rétroactive, qui précisait « Tout Français qui, même sans enfreindre une loi pénale existante, s'est rendu coupable d'une activité antinationale caractérisée, s'est déclassé; il est un citoyen indigne dont les droits doivent être restreints dans la mesure où il a méconnu ses devoirs. » Ça s’imposait. Epoque surréaliste, comme ce « commandant Bayard », qui entre autres crimes, assassina à Issigeac (24560) le maire, le notaire, le médecin et le curé, qui s’étaient opposé à l’ouverture, par ledit « Bayard », d’une maison de prostitution.
Tous coupables…
A Limoges, connaît-on les assassins du docteur Blanchard, « abattu » après avoir été acquitté par la cour martiale qu’avait constituée le militant communiste B…, préfet de la Vienne, sous le nom de Jean Chaintron. A Nantiat (87140) sans doute sont connus les assassins de M. l’abbé Lafon, curé doyen, qui fut torturé, accusé de « royalisme », promené toute une journée dans sa paroisse sous les injures et les coups avec, dans le dos, un écriteau: « vive la république ! » et fusillé le soir; de MM. Ducaux, Manent, Viraudeau, Lasnier-Confolens, de Mlle Morice, « exécutés » le 8 juillet 1944.
Dans la Dordogne, les crimes étaient si nombreux que, le 3 août 1945, le Comité départemental de Libération publiait dans la « Dordogne libre », le communiqué suivant: « A la suite des attentats renouvelés dans le département, le CDL fait connaître qu’il condamne ces agissements qui ne peuvent être que des actes personnels et d’inspiration douteuse vis-à-vis de l’ordre public et des institutions républicaines. Il met en garde la population contre toute organisation clandestine qui existerait et fait appel aux anciens résistants qui pourraient se laisser égarer… » Egarement pour égarement: les FFI comptaient environ 1.600 membres à la libération de la ville de Marseille. En moins de deux semaines, d’après le rapport d’officiers de renseignements de l’armée américaine, ce chiffre avait atteint 4.500 ; écoutons Donald Robinson « American Mercury » avril 1946 : « …tous les chenapans et tous ceux qui avaient des rancunes à satisfaire étaient accourus sous les drapeaux dès la cessation des combats.»
Ne se laissèrent pas égarer, à Limoges, en juin 1947, les 1.500 communistes qui donnèrent l’assaut au palais de justice. Motif de ce courroux : massacrer M. de Barry, que la cour de justice venait de condamner à mort pour son appartenance au PPF et à la Milice, et bien qu’en juin 1944 il eut sauvé à Guéret cent cinquante otages que les Allemands allaient exécuter.
Quinze jours plus tard, même motif, même punition, un assaut également mené par les troupes communistes, sur la prison de Limoges par des émeutiers qui voulaient y massacrer les 116 détenus politiques, il y avait parmi eux vingt-trois condamnés à mort. Ces communistes sont incroyables. Vouloir toujours faire l’économie de pelotons d’exécution. Mais les détenus politiques n’étaient pas manchots, et ainsi un assaillant se retrouva étranglé, ce qui vous en conviendrez donne à réfléchir sur la détermination des assiégés leur permettant de repousser l'assaut.
Mais où est donc la guerre civile ?
Les exemples, parmi beaucoup d’autres, attestent que la région de Limoges fut l’une de celles où la révolution de 1944 fut la plus sanglante: A Magnac-Laval (87190), assassinats de MM. Duchaseaubeneix, marchand de meubles; Weber, marchand drapier; du percepteur et de sa femme, du receveur des postes, de Mme Fath, d’un employé de l’hôpital, d’un fabricant de sabots, tous torturés avant d’être « abattus ».
A Landouge (87100 Limoges), assassinat de Mme Peyretout, dont la chevelure fut retrouvée clouée sur la porte de sa maison. A Nantiat (87140), assassinat de M. Virondeau, tonnelier, et du docteur Thouvenet.
A Châteauponsac (87290), assassinat de Mlle Darouzet, dentiste, qui fut affreusement martyrisée, de M. Coupat, mécanicien, ainsi que des tortures infligées à M. Tardy, notaire.
Tue, pille, viole…
A Clermont-Ferrand, « exécutions » de l’intendant de police Mayade, préalablement torturé d’affreuse manière; du commissaire Berger, fusillé après avoir eu les quatre membres brisés; de Mlle Counil, torturée, exposée nue et fusillée; de Mlle Thivat, arrêtée à Aigueperse, incarcérée à Riom, condamnée à six mois de prison « pour avoir parlé des Allemands en termes favorables » (cf. « L’Eclair du Puy de Dôme » du 12/6/45) enlevée à sa sortie de prison en juin 45 par le « maquis », torturée pendant deux jours sous les yeux de la population d’Aigueperse (63260), sans que la Garde mobile présente osât intervenir, et enfin pendue au pont du chemin de fer, dans la rue principale, où son corps de balança pendant plusieurs jours.
Dans le Lot et Garonne, furent assassinés Mgr Torricella, directeur de la Mission italienne; l’abbé Cordier, curé de Lévignac de Seyches (aujourd’hui Lévignac de Guyenne 47120); l’abbé Lavicou, curé d’Allemans du Dropt (47800); le colonel Dilon-Cavanac, à Agen; M. Dupré de Pomarède, directeur du Ravitaillement à Agen; le général Barthélémy, président de la Croix Rouge à Nérac (47600); M. Verdier, maire de Port Sainte Marie (47130); le maire de Sérignac sur Garonne (47310).
Dans la Vienne, assassinat du baron Henri Reille-Soult, aviateur célèbre de la guerre de 1914-1918. Organisateur de dépôts d’armes pour l’Armée Secrète, cité à l’ordre du Corps d’armée le 25 juillet 1945 par le général Juin. Il fut enlevé par un maquis de la Vienne, avec Mme Reille-Soult le 21 juillet 1944, injurié, frappé, détenu dans une étable à porcs et nourri comme eux, tandis que sa propriété était pillée. Il fut libéré le 15 août, mais fut de nouveau enlevé par des maquisards le 17 octobre et assassiné à Lussac les Chateaux (86320). Son corps avec plusieurs autres, fut jeté dans un puits comblé à coups d'explosifs.
Assassinat, en juillet 1944, de M. de la Guéronnière, de sa femme et de sa soeur. Ils furent arrêtés tous les trois au château de Thouron (87140), par des « patriotes » qui les abattirent dans un bois voisin.
Rien n'est parfait…
Bien entendu, il arrivait parfois, des anicroches. Mais votre « innocence » étant reconnue, toujours bien entendu, du simple fait qu’ancien « résistant » : un exemple, pas unique, loin s’en faut, mais il faut bien nous limiter : « Hier matin, narre le « Républicain du Midi » du 17/11/1949, a comparu, devant le tribunal militaire de Lyon, le capitaine Marcel Mealle, 40 ans, originaire de Montluçon, qui commanda un groupe de résistance de l’Allier. Marcel Mealle est accusé d’avoir fait exécuter, le 2 septembre 1944, 15 jours après la libération du département, un contrôleur économique, M. Camille Banson, 48 ans de Vichy. Revenant sur les déclarations qu’il avait faites à l’instruction, le capitaine Mealle a reconnu à l’audience qu’il avait lui-même arrêté Banson le 16 septembre et qu’il avait donné l’ordre de l’exécuter après l’avoir violemment frappé à coups de poing. Il a affirmé que Banson, dont l’honorabilité et le patriotisme sont maintenant prouvés, lui avait été présenté comme milicien par un de ses compagnons, l’adjudant Correro. Ce dernier, cité comme témoin, a reconnu ce fait. Plusieurs témoins qui participèrent à l’arrestation ou à l’exécution ont confirmé les aveux de l’accusé et la déposition de M. Correro. Ils ont également souligné la conduite courageuse du capitaine Mealle pendant l’occupation. » Le « Républicain du Midi » sobre dans l’expression note que le tribunal militaire de Lyon a acquitté le capitaine Mealle. C’est bon pour cette fois-ci, mais n’y revenez pas !
Appréciez la modestie du « capitaine » Mealle. Capitaine ! Rendez-vous compte ! Alors qu'il lui suffisait de dévaliser, « comme tout le monde, une boutique de passementerie pour devenir colonel. »
Sans boussole…
Il y avait également, d’autres égarés, qui sans doute analphabètes et ne sachant pas coudre de galons sur leurs manches, se firent « pincer », les maladroits ! Quelques mois avant la libération une vingtaine d’Espagnols organisèrent un maquis à St Lon les Mines (40300). Ce maquis était dirigé par un nommé Quintial, qui se faisait appeler « commandant François »; secondé par Angel Arias, Juan Mattiarena et Juan Cordoba, ses lieutenants en quelque sorte. Bien entendu le maquis de St Lon n’avait eu aucune activité de résistance. Ce qui était certain, c’est qu’il fit régner la terreur dans la commune après la libération. Des personnes qui n’avaient aucune activité « collaborationniste » furent exécutées. Et c’est ainsi, que successivement, Mme Peyrelongue, femme d’un prisonnier, MM. Darrigan, père et fils, Larbère et sa fille, M. Bouneau et M. Gray étaient arrêtés et amenés au maquis où ils étaient interrogés par le commandant François. La malheureuse Mme Peyrelongue, était fusillée à une date indéterminée. Puis le 23 août, vint le tour de MM. Larbère, Jean et Charles Darrigan, puis Mme Bayle, elle aussi femme de prisonnier, d’être exécutés. Mme Bayle, selon un témoin, aurait été pendue par un pied et on l’aurait laissé mourir dans cette position. Les corps furent exhumés, le 11 mai 1945 .
Technique de la torture
Frapper des hommes et des femmes à coups de lanières, à coups de barre de fer, leur arracher les ongles, les brûler avec des cigarettes, leur brûler les pieds, les marquer au fer rouge, les faire agenouiller, pendant des heures, sur des objets aigus, les taillader à coups de rasoir, les pendre et les dépendre alternativement, ou bien raser la tête ou le pubis des femmes, leur couper les bouts de seins, leur faire passer un courant électrique dans le vagin, tout cela ne fut que l'A. B. C. d'une nouvelle technique, d'une technique à torturer par laquelle certains « libérateurs » ont ressuscité et amélioré un art de géhenne qui s'était perdu depuis les temps de barbarie. Il est arrivé qu'on ai fait beaucoup mieux. Dans l'Ardèche, où résidaient des Espagnols rouges, au camp de Joannas (07110), on coupait les oreilles, on brûlait avec une lampe à souder. L'abbé Mandaroux y fut fusillé, mais « c'est aux parties sexuelles qu'il fut seulement visé et atteint ». Dans d'autres cas, « très souvent, le peloton d'exécution n'ayant visé qu'aux jambes, les exécutés sont jetés à Fons (07200) dans un puits de mine abandonnée où les paysans, horrifiés, les entendent crier à longueur de journée et de nuit »
Matériel utilisé :
Le dictionnaire de la politique française d’Henri Coston ;
Coll. « L’Indépendant des P. O. » ;
Coll. « Le Républicain du Midi » ;
Coll. « Les Ecrits de Paris », 9, passage des Marais, 75010 Paris ;
« Le livre noir de l'épuration », août 1964, Lectures Françaises, 81690 Chiré en Montreuil ;
« Après le déluge » P. A. Cousteau, 1956.