DSK : Desir Suicidaire Kafkaïen

Publié le par Josep

  Libres propos de Gilbert Collard


Quel traumatisme que la grandeur et la décadence d’un puissant de ce monde ! Voyeurisme et écœurement : on a assisté en direct à la chute d’un homme du haut de l’édifice qu’il avait patiemment construit, depuis des années d’ambition pour accéder au pouvoir. Il est tombé à nos pieds, de plus haut que de l’Empire state building, dans une flaque de honte. On a été médusé d’apprendre, au petit matin des croissants chauds et du journal froid, que le directeur du fond monétaire international, futur candidat à la présidence de la République, instrumentiste, comme d’autres, dans l’orphéon de la bien-pensance socialiste, était prisonnier de la réalité d’une série américaine pour avoir commis une tentative de viol franchement dégueulasse, si elle était avérée.


Tout de suite, les amis de son bord ont brandi le bouclier de la présomption d’innocence ! On ne peut que s’en féliciter, tant il est vrai que le coupable d’aujourd’hui peut être l’innocent de demain. À regarder de près les déclarations des uns et des autres, on est consterné par leur hypocrisie idéologique, qui a indigné la presse internationale. Aucun, jusqu’à mardi, n’a eu un mot, une pensée, une aumône de compassion pour l’éventuelle victime qui avait droit, elle aussi, au bénéfice d’une présomption de sincérité. Entre les deux, on n’avait pas le droit de choisir. On a tout entendu. Un téléspectateur, ignorant l’information de base, aurait pu croire au décès de DSK. Les pensées de Martine Aubry, de Hollande, de Ségolène Royal, et de tous les autres faux culs, allaient à la famille, aux proches, dans la douleur ! À droite, c’était le silence prudent des lâches, qui craignaient la visibilité du bénéfice politique.


  Tapie, attablé, pour combler de son rot le vide médiatique qui par horreur du vide recherche le vide, à même éructé qu’il n’imaginait pas DSK faire « cette connerie », « pour une femme de ménage ! »


Quand un journaliste lui a dit : « Marine Le Pen a déclaré que c’est une honte pour la France », il a répondu, « la honte pour la France ce sont les 20 % de Français qui la soutiennent » ! Cette phrase a été enlevée par la suite… 20 % de Français peuvent donc s’honorer, au moins, de n’avoir point la reconnaissance morale de Bernard Tapie, ce qui devrait, de fait, les rendre plus fréquentables, et leur éviter les ennuis judiciaires de Christiane Lagarde


Pas un mot pour la victime. Et les avocats, du susdit DSK, sans allusion sémantique à l’infraction, n’ont pas hésité à juger qu’elle « était moche » ! Il fallait un grand moment de nombril dans cette défense du pénis pardonné. Bernard Henri Lévy fut, sur France Inter, à la hauteur de son ego te absolvo…

 

Interrogé sur l’hypothèse d’un doute à propos de l’innocence de DSK, il le prit très mal, et s’emporta avec sa voix de vieux théâtreux indigné systématique du système, pour vociférer : « Est-ce que je doute de quoi, vous vous foutez de ma gueule ? Vous pensez une seconde que nous serions amis si je pensais que DSK était un violeur compulsif, un homme de Neandertal ? Tout çà est absolument grotesque ! » Quand on a la chance d’entrer dans le cercle des amis du philosophe qui ne philosophe plus, on est, de fait, forcément irréprochable…

 

C’est la preuve morale par le moi, une sorte de décontamination par fréquentation avec l’usine d’étuvage universelle que représente à lui tout seul notre col blanc qui lave plus blanc. J’imagine la défense de DSK présentant cette preuve ontologique, l’amitié d’un irréprochable référent. Il y en a eu d’autres, d’habitude prompt à donner la fessée morale, Jean François Khan, voit dans l’accusation : « un troussage domestique », « une imprudence » ; à lui tout seul il rétablit le droit de cuissage ancillaire ; pour Jack Lang, « il n’y a pas mort d’homme », sauf qu’il s’agirait ici de la mort d’une vie de femme… pour Chevènement, qui confond Rikers Island avec l’île du Diable, on devrait se rappeler l’affaire Dreyfus… L’affaire Dreyfus ? Il est malade !


Que pèse une pauvre femme de chambre, immigrée, noire, devant la carrière brisée du directeur du fond monétaire, candidat à la présidence de la République, et socialiste, donc du bon côté des mots ?

Devant ce dégobillage de misogynie, Gisèle Halimi est enfin sortie de son silence, pour crier sa colère contre ces socialistes qui n’en sont pas et pour rappeler l’horreur du viol. D’un coup, on s’est fendu dans tous les discours d’un petit mot réchauffé pour l’éventuelle victime. Un rattrapage médiatique tardif et tellement conventionnel. Ce qui a fait écrire à un journaliste étranger dans le courrier international du 19 au 25 mai : « Manier la double morale en toute impunité est la dernière conquête dialectique de la gauche » .

 

Au-delà des faits, qu’ils soient avérés ou pas, cette analyse de classe restera. Dès les premiers instants, un choix a été fait. Entre le fort et le faible, la caste politique a choisi le fort au mépris de la présomption d’innocence de la victime, présomption tout aussi respectable que celle de l’inculpé, allant jusqu’à croire à un improbable complot.


Pourquoi ? D’abord, parce qu’un homme de gauche est forcément féministe, anti raciste, ami des pauvres, du cœur, comme Tartuffe était l’ami de la religion. Les autres, des salauds, y compris la femme de ménage ! Ensuite, parce qu’on n’arrive pas à comprendre le passage à l’acte, même préparé par tout ce qu’on apprend et qui était connu de tous, surtout d’un ancien ministre de l’intérieur, monsieur Nicolas Sarkozy. Comment peut-on risquer de tout perdre ? C’est précisément la question du passage à l’acte ! C’est un fracas qui emporte les digues morales dans un sentiment d’impunité. Au demeurant, tout est possible, même l’innocence de DSK, mais alors pourquoi ne raconte-t-il pas tout de suite sa version des faits, dont, s’il est innocent il peut être sûr ? Il avait le droit de garder le silence et son mutisme n’est pas incriminant, mais quel meilleur moyen de se défendre quand on est victime d’un complot, qu’en le dénonçant tout de suite ?


On aura des réponses à toutes ces interrogations.


Il y a une question, quelle que soit la vérité judiciaire, à laquelle on n’aura pas de réponse et qui ne concerne pas l’accusé : pourquoi la France qui parle, qui écrit, qui moralise, qui stigmatise, qui ostracise, qui pense bien, a-t-elle fait de cette jeune femme noire, immigrée, pauvre, une orpheline de notre considération officielle ?


On a pleuré sur les photos dégradantes du prisonnier. Je suis d’accord. Mais on n’a rien dit quand Paris Match a exhibé la photo dépoitraillée, échevelée, effarée de madame Gbagbo. Là, c’était bien, on était dans notre bon droit moral d’exhiber l’Africaine déchue, qui a aussi des enfants ! Quant à la présumée victime de DSK, on n’aura aucune photo de son visage en larmes. Elle est, elle aussi, prisonnière de cette histoire, obligée de vivre cachée.


Cette triste affaire aura au moins eu le mérite de montrer l’autre versant des mots, le versant vulvaire, hypocrite, le déchirement dont on crève entre ‘le faire et le dire’, dont Montaigne disait que « c’est une bien belle chose quand ils vont ensemble ».

    

 


Publié dans Politique

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