Retraites des sénateurs : «Intolérable» et «irresponsable» selon les syndicats
Les syndicats s'offusquent. La CGT, SUD et la CFDT ont tous confié à Mediapart leur indignation après la publication de notre article du 8 septembre sur les compléments de retraites cachés de dizaines de sénateurs.
Dans cet article, nous révélions que le Palais du Luxembourg a toujours dissimulé le fait que les sénateurs qui occupent une fonction de dignitaire (président de groupe, de commission, questeur, secrétaire, etc.) touchent non seulement un complément de rémunération pendant leur carrière, mais également un supplément de pension une fois à la retraite. Ce bonus fait que plusieurs anciens sénateurs touchent plus de 10.000 euros de pension par mois. A l'exemple de Michel Charasse: 13.200 euros brut.
Eric Aubin, en charge du dossier retraites à la CGT, juge cette absence de transparence «intolérable». «On ne peut pas s'octroyer de tels niveaux de retraite dans le secret le plus total. Il faut faire toute la transparence sur les retraites des parlementaires.» Selon lui, «on vit une période d'austérité où les gens souffrent, certains ne parviennent pas à vivre avec leur retraite. Et pendant ce temps-là, d'autres ne connaissent pas la baisse de leur pouvoir d'achat. C'est une injustice flagrante et inacceptable. Tout est abusif: les sommes, le niveau de cotisation. C'est complètement invraisemblable. Chez les salariés qui lisent ces informations, cela ne peut que faire monter le sentiment d'injustice: les gens qui nous font la morale, qui nous disent de nous serrer la ceinture, se gavent! Et en plus, ils se sont octroyé ces privilèges au moment où on baissait le niveau de pension. C'est inimaginable. On ressent beaucoup de colère.»
«Un esprit de caste»
Les retraites de ces sénateurs ont en effet été améliorées dans les années 2000. Annick Coupé, dirigeante du syndicat SUD, juge nos informations «assez dramatiques. Cela décrédibilise la politique, les élus. Ensuite, il ne faut pas s'étonner du fossé entre les représentants du peuple et les gens normaux. Les mêmes qui ont voté l'an passé la réforme des retraites voulue par Sarkozy en disant qu'il n'y avait pas d'autre solution, ont trouvé pour eux d'autres solutions. C'est tripatouillage et passe-droit. C'est surtout totalement irresponsable car cela montre une classe politique en dehors des réalités. Je n'ai pas de vision dogmatique: il faudrait sûrement réfléchir à un statut de l'élu. Mais le minimum qu'on peut exiger, c'est la transparence et la clarté plutôt que des règles cachées ou illisibles, qui révèlent des arrangements entre amis.»
Certes, une réforme pour les sénateurs «de base» a été décidée: le taux de cotisation a été augmenté, l'âge de la retraite passera de 60 à 62 ans, la durée de cotisation sera portée à 41 ans et demi à partir de juillet 2013, et le taux de la pension de réversion servie au conjoint survivant sera baissé de 66 à 60% à partir de 2014. Le règlement de la caisse des retraites du Sénat, que nous avons mis en ligne, reste toutefois très compliqué à décrypter. A la CFDT, on déplore des règles qui, quand elles ne sont pas cachées, sont «faites pour qu'on ne les comprenne pas». Jean-Louis Malys, secrétaire national en charge des retraites, dénonce «un esprit de caste, un système hors-sol. On planque ses avantages. On se protège. Et on fait croire qu'on met en place des réformes alors qu'on garde des avantages exorbitants par rapport au droit commun». Pour la CFDT, les privilèges étaient pensés à l'origine pour que les gens modestes puissent également faire de la politique. Mais le système aurait été perverti. «D'autres régimes de retraites spéciaux sont très déséquilibrés, avec beaucoup plus de pensionnés que de cotisants, comme ceux des mineurs ou des marins. Mais ce sont des professions qui ont rendu de grands services à la Nation et dont le régime répond à un problème démographique et de pénibilité. Ce n'est pas le cas pour les parlementaires.»
Jean-Louis Malys juge qu'il ne faut pas s'abriter derrière ces privilèges des parlementaires pour ne pas réformer le système des retraites en général. «On ne peut pas accepter le discours qui consiste à dire "On ne fait rien tant que les parlementaires n'ont pas modifié leur propre régime". Cependant, ce système des compléments de retraite des sénateurs est désastreux pour les élus en termes d'exemplarité.»