Les samouraïs de l’apocalypse

Publié le par Josep

Il y a, dans la mythologie japonaise, un énorme poisson-chat nommé Namazu. Il vit dans la terre et, de temps à autre, quand il s’ébroue, il déclenche des tremblements de terre. Normalement, le dieu Kashima limite les débordements de Namazu en le coinçant avec une grosse pierre. Mais il peut arriver que Kashima soit distrait. Et que Namazu se déchaîne. Comme récemment.

 

A la différence de la mobilisation qui a suivi le tremblement de terre à Haïti, envois de dons de toutes sortes, adoptions à tours de bras de petits Haïtiens, reportages compatissants, la tragédie – la triple tragédie – qui a frappé le Japon n’a pas mobilisé les Français qui, pour l’occasion, ont des oursins dans les poches.

 

La raison de cette désaffection, pour ne pas dire cette indifférence ? Elle est simple. A la différence des Haïtiens que l’on a vus sous toutes les coutures, hurlant leur malheur, interpellant les opinions publiques occidentales, pillant parfois les magasins, se battant pour récupérer les aides envoyées, les Japonais ne se plaignent pas. Leur désespoir reste digne. Ils n’interpellent personne et même pas leurs dirigeants. Ils ne pillent pas les grandes surfaces. Ils font la queue pour récupérer les quatre tomates, le morceau de pain, le bidon d’eau qu’on leur donne pour pallier l’urgence. Ça ne fait pas pleurer Margot. Ça n’encourage pas à la sensiblerie. C’est beaucoup moins « vendeur ».

 

En 1945, alors que les Japonais venaient de capituler, l’empereur leur avait dit : « Nous devons supporter l’insupportable. » Une fois de plus, sans geindre ni se plaindre, ils supportent l’insupportable. Et ils trouvent des hommes debout, prêts à se sacrifier pour les autres, volontaires pour le sacrifice suprême. Des samouraïs de l’apocalypse. Un spécialiste du Japon, Jean-François Sabouret, expliquait récemment à propos du stoïcisme japonais : « Quand le malheur arrive, il faut faire face. Quand le bonheur surgit, il faut en profiter. C’est un fatalisme actif. Pas désespéré. »

 

Alors ils font face. Là où d’autres accusent le colonialisme, les méchants Occidentaux, l’injuste nature, ils retroussent les manches et enfilent des combinaisons de protection dont on espère qu’elles protégeront quelque chose, et ils y vont. Un monde à reconstruire ? Oui. Eh bien, ne perdons pas de temps à gesticuler, ne comptons que sur nous-mêmes, jugulons le feu nucléaire comme nos ancêtres ont eu raison des dragons mythologiques. Et peut-être que Kashima renverra aux enfers le sinistre Namazu…

 

L’autre samedi, me trouvant au Quartier latin pour aller signer quelques livres à la librairie Notre-Dame-de-France, j’ai croisé la maigre manif des gens de l’ordre du temple scolaire, CGT, FSU, SNES et tutti quanti. Avec leurs slogans éculés. Leurs revendications dérisoires au regard de la tragédie japonaise. Leurs autocollants de quat’sous. Leur look qui ne donne pas envie de leur confier des enfants. Et j’avais dans les yeux le regard droit des samouraïs de l’apocalypse. Il y a des jours comme ça où on se sent furieusement japonais…

 

ALAIN SANDERS

 

"Présent"

Article extrait du n° 7313 du Jeudi 24 mars 2011

 

 Source

 


Publié dans Climat-Géographie

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