Les exploits de la Banque d'Indochine

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Un décret ministériel du 25/12/45, intervenu sous la présidence du général De Gaulle, est à l'origine du trafic des piastres (1). Ce trafic des piastres a duré 5 ans. Des milliers de milliards ont permis de financer le Viet-Minh, et ont empli les poches de politiciens et de trafiquants. Reportons nous à un article paru dans « Le Monde » du 20/11/52, signé Jacques Despuech auteur du « Le trafic de piastres » : « ...Mais il y a plus grave encore, puisque ces trafics affaiblissent notre défense. Le Viet-Minh, en effet, achète ces devises à n'importe quel prix, car il en a besoin pour se procurer des armes, des munitions, des médicaments, etc., et même pour acheter des consciences. Il ne semble pas donc trop fort de comparer le trafic des devises à un trafic d'armes. ». Exemple : Une société d'édition faisait acheter par la maison-mère en solde des millions de romans policiers, en France, qu'elle revendait ensuite à Saïgon au prix marqué par l'éditeur. La succursale payant bien sûr en piastres. Retour des piastres converties en France.
La Banque de l'Indochine n'était pas étrangère à ce trafic et rappelons que figurait au sein du Conseil d'Administration une douzaine de membres qui détenaient une centaines de sièges dans des sociétés coloniales, des établissements de crédit, ou des entreprises minières industrielles et commerciales

Quel cinéma !

Ce pourrait être une toute petite affaire banale. Un certain Vigier, pour la Banque, accapare en 1949 tous les cinémas de Bordeaux. Les plus importants d'entre eux, étaient entre les mains d'un certain Bonneterre. La Banque de l'Indochine lui avait avancé des fonds importants en vue de financer un programme de modernisation de ces salles. 30 millions furent investis, dans la réfection du cinéma « Mondial ». Bonneterre, reconnaissant, céda sa villa d'Arcachon, « Do Son », à Couesland, directeur-adjoint de la banque à Paris. Ensuite, comme on le devine la Banque de l'Indochine « serra le kiki » à Bonneterre, le flanqua à la porte, le mit en faillite. Mais bien avant certaines précautions avaient été prises. Le bail de Bonneterre prévoyait qu'en cas de faillite ou de liquidation judiciaire, il serait purement et simplement résilié au profit du propriétaire de l'immeuble, ainsi que toutes les installations faites ou améliorations apportées. Donc, ledit propriétaire de cet immeuble profiterait pleinement de cette « faillite ». Le hasard veut qu'il était au mieux avec les dirigeants de la Banque de l'Indochine. Celle-ci ne perdait rien. Il s'appelait Belly, ce propriétaire. Un simple coïncidence : il était juge au tribunal de commerce. C'est lui qui prononça la faillite Bonneterre. Peu après il démissionna de ses fonctions consulaires, pour se consacrer à la gestion du « Mondial ».
Vigier avait le coup de main... Dans le passé, il avait raflé tous les cinémas d'Indochine. Son ami Follys de raconter l'histoire : « Lorsque Vigier devint administrateur-liquidateur de l'Indochine Films Cinémas, quelle fut sa première précaution ? C'est d'accaparer, partout, les actions de cette société ; de faire tous les couloirs à l'intérieur de la Banque. Il passait ses après-midi à aller chez les uns et les autres acheter les actions d'Indochine Films Cinémas à vingt sous pièces, sachant pertinemment qu'il la redressera, parce qu'il a une mission de la Banque de l'Indochine. Il a derrière lui la Banque. Il n'a pas perdu son temps. Parce qu'il se trouve que l'Indochine Films Cinémas a été renflouée au-delà des espérances. C'est une affaire qui est partie de rien et qui a pris une ampleur extraordinaire. Il a fait donc là une très grosse affaire. Mettons, si vous voulez, avec l'accord de la direction générale, qui, bien entendu, en profite également. Ce qui est normal... » La société Indochine Films Cinémas avait ses bureaux dans les locaux de la Banque Franco-Chinoise, 74, rue St Lazare, à Paris. Vigier en était le principal actionnaire, et le directeur général, René Bousquet. Tous les fonds en piastres de cette société, furent virés sur le Maroc, et ils servirent à rafler tous les cinémas du Maroc, qui eux-mêmes avaient raflé tous les cinémas d'AOF, qui eux-mêmes...

La banque aime le rhum

La Banque de l'Indochine qui a discerné des «qualités professionnelles» chez un nommé Arthur Laurent se fait un plaisir de lui avancer des capitaux. Laurent lance alors la Société des Rhums « Mamita » dont les affiches couvrent les murs de Bordeaux et étalent à Paris, le sourire d'une appétissante créole. L'année 1947 est celle des grandes affaires de Laurent le magnifique, seul négociant à obtenir un bateau pour aller chercher du rhum à la Martinique à seule fin de le vendre (en partie du moins) au marché noir. Les conditions d'affrètement au bénéfice de la société Laurent violaient ouvertement les accords de la profession au bénéfice exclusif d'un négociant. Alors que le fret courant était 3 fr 44 le litre, il s'élevait dans cette opération à 22 francs le litre. Cet accord, fut conclu sans nul mystère. La veille du départ du bateau, Laurent organisa à bord une réception dont le quotidien socialiste de Bordeaux « La Nouvelle République », rendit compte le 22 février 1947, en ces termes : « Un vin d'honneur s'est déroulé vendredi soir à bord du « Casoar. ». Cette charmante manifestation, organisée par M. Laurent était destinée à marquer le départ de ce chalutier pour la Martinique où il se consacrera au trafic du rhum. Aujourd'hui, le « Casoar » récemment promu cargo va reprendre la mer pour le compte de la société Laurent-Monopole. M. Laurent nous a dit toute la reconnaissance qu'il doit à MM. Jules Moch et Marius Moutet qui se sont intéressés au « Casoar ». (2)
Bref, en 1947 il importe 1.300 tonnes de rhum ; en 1948, il importe plusieurs millions de litres. Ses démarcheurs parcourent les campagnes proposant « Mamita » : six bouteilles facturées et autant de bouteilles qu'en désire l'amateur, celles-ci non facturées. La vie était belle pour Laurent. La Banque de l'Indochine lui ouvrait largement ses caisses. En 1949, de plus en plus généreuse, elle alla jusqu'à lui prêter UN MILLIARD de francs pour assurer le triomphe du Rhum « Mamita ». Laurent ristournait à la banque une commission s'élevant à 20 % des bénéfices bruts. Entre-temps, les conditions de fret s'étaient améliorées et les concurrents du roi du rhum travaillaient à de meilleures conditions que lui : bientôt Laurent eut un découvert de 406 millions à la Banque de l'Indochine. Celle-ci, dit-on, aurait profité de l'occasion pour s'emparer du monopole du rhum si astucieusement créé par Laurent à Bordeaux. Convoqué à Paris, Laurent s'entend réclamer 406 millions dans un très court délai, le siège de Paris n'ayant pas été averti, paraît-il, de l'avance consentie par le siège de Bordeaux ! Laurent propose des gages, mais la banque, se montre intraitable, demande à Laurent de quitter la présidence de la Société et lui interdit d'y remettre les pieds.

Le roi du rhum veut lutter

La Banque porte plainte contre lui, obtient une vente publique, achète aussitôt les 9.500 actions offertes à 100 francs l'une et acquiert en même temps tous les stocks de rhum. Laurent porte plainte à son tour, contacte les « Nouvelles de Bordeaux » pour lui faire des révélations. Hélas, le papa de « Mamita » est arrêté quelques heures plus tard.
Sorti de prison au bout d'un an, Arthur Laurent est traduit devant la Commission d'enquête sur les piastres (3) ; puis a publié en février 1955, un livre intitulé « La banque de l'Indochine et les piastres », où il accuse ouvertement ladite banque : 1) d'avoir été le grand meneur de jeu du trafic ; 2) d'avoir dissimulé des dizaines, sinon des centaines de milliards de bénéfices ; 3) de s'être engagée, à seule fin de conserver ouvertement ses agences de Chine à maintenir (à Mao Tsé Tung) ces fournitures d'armes et de matières premières stratégiques qui ont servi à faire tuer des soldats français.
Devant la commission d'enquête des témoins ont révélé que des pressions puissantes ont été faites, tant sur le Parquet que sur la Police, pour tenter d'arrêter la marche de la nouvelle enquête. Une fois encore à la tâche, notre héros, René Bousquet, était spécialement venu à Bordeaux afin de mettre un terme à ce vaudeville. D'ailleurs, René Bousquet, n'avait-il pas affirmé en son temps de gloire que la Banque de l'Indochine était plus puissante que le pouvoir exécutif, plus puissante que le législatif et même qu'elle dirigeait le pouvoir judiciaire.

Notes

(1) A cette époque le général De Gaulle présidait avec un cabinet où figuraient cinq communistes : Thorez, Tillon, Billoux, Marcel-Paul, Croizat. René Pléven était aux Finances et Georges Bidault aux Affaires étrangères. Edouard Daladier dans les années 50 notait « ...une spéculation éhontée fleurit dans le pays. Elle se fonde sur le maintien de la piastre indochinoise au cours légal de dix-sept francs, alors qu'elle en vaut huit ou dix. ».

(2) Arthur Laurent, dit Laurent le Magnifique. Successivement gérant de Prisunic à Lille et employé dans un Monoprix de Bordeaux ; quitte la France en 1943.

(3) Folklorique cette commission : les membres démissionnaient les uns après les autres. Les témoins, eux, disparaissaient discrètement ! Puis cette commission décida de rendre ses délibérations secrètes. Enfin seuls !



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